still dreaming | anthéa

- une vie ce n'est pas assez...

L'orage déchirait l'île de Skye quand Anthéa a vu le jour - ou plutôt la nuit. C'est sur cette île très peu peuplée et dans une famille où amour rimait avec absolu et éternité qu'elle a passé sa petite enfance, heureuse et insouciante comme une étoile. Le clan de sa mère, McLeod, était le plus prestigieux et le plus ancien des îles. Il avait su faire fructifier la présence historique en puissance monétaire au fur et à mesure des générations, et les descendants n'avaient qu'à en cueillir le fruit. Ce clan était aussi connu pour être le plus soudé de toutes les Hébrides Intérieures, et leur réputation se perpétra une fois qu'Anthéa fut née, sous la forme d'une immense fête qui célébra la naissance, et puis le baptême, de l'enfant.

Anthéa a eu une enfance heureuse. Elle était entourée de sa famille, qui l'aimait comme on aime une merveille, ses parents se disputaient très rarement, elle s'amusait à l'école. Elle n'avait pas énormément d'amis, mais ils lui étaient chers. Elle a très vite commencé à passer ses pauses repas à lire. Les livres la passionnaient. Elle avait le coeur qui battait très fort et très vite quand elle lisait, et elle recherchait avidement les sensations que seuls les livres pouvaient lui offrir. Les seules activités qu'elle ne négligeait pas pour lire étaient celles qu'elle partageait avec sa famille proche. Équitation et cuisine avec son père, musique et jardinage avec sa mère. Elle adorait ce temps passé avec eux. Parfois, elle allait aussi voir ses oncles et leurs enfants, tous plus âgés qu'elle, sa meilleure ouverture au monde.

Anthéa avait huit ans quand on lui a découvert un talent très vif pour la musique. L'oreille absolue l'a énormément aidée à apprendre à manier tout d'abord le piano, puis la guitare et enfin la harpe, le tout en chantant. À douze ans, elle commençait à faire des petites scènes aux fêtes des différents villages de l'île, et elle aimait ça. La musique lui permettait d'exprimer le trop-plein d'émotions qu'elle vivait au quotidien. Et elle était douée. Suffisamment douée pour comprendre jeune qu'elle avait peut-être un avenir dans ce domaine.

Le premier drame de sa vie, Anthéa l'a vécu à quinze ans, quand sa mère est morte dans un accident de train. Ce fut la chute, le déchirement, et Anthéa dut le vivre seule, car sa famille s'était délitée, comme elle-même s'était délitée à l'intérieur. Ses oncles ? Partis rejoindre l'une de leurs soeurs à La Havane pour s'éloigner de tout. Son père ? Il a sombré dans l'alcool pour oublier la femme qu'il avait aimée plus que tout. Et Anthéa est restée seule au milieu de tout ça, à contempler le chaos contre lequel elle ne pouvait pas lutter. La fierté des écossais a fait le reste : elle a pris les rênes de la famille, endossé le titre de Lass McLeod, et empêché le navire de se fracasser dans cet écueil. Mais ça la rongeait. Elle ne pouvait même pas pleurer sa mère, parce que personne ne lui en laissait le temps ou l'occasion. Elle devait être forte.

Et forte, elle le fut, jusqu'à ce qu'un de ses amis d'enfance, Uilleam McGrath, se mette à lui faire des avances. Beaucoup de filles de Skye appréciaient Uilleam, mais il n'avait jamais marqué de préférence, et elle pensait être l'une de celles-là. Elle l'avait accepté. Mais il continua de lui porter de l'intérêt après qu'ils aient couché ensemble. Il voulait sortir avec elle. Elle a accepté, parce qu'elle voulait qu'on l'aime.

Cela a duré deux ans. Trois ans d'une relation toxique faite d'humiliation, de bashing systématique, de violence physique aussi, parfois, quand ça s'était mal passé au boulot - il était plus vieux qu'elle et travaillait déjà. Elle acceptait. Elle acceptait tout parce qu'il était la seule personne qu'il lui restait. Les professeurs ne remarquaient rien, et il avait pris soin de la couper de tous ses amis. Il ne lui restait que lui, il devait être le centre de son univers.

Cela ne s'est arrêté que quand elle est partie à New-York pour ses études supérieures, grâce à un dossier en béton armé envoyé à la School of Arts. Uilleam ne voulait pas qu'elle y aille, il disait qu'elle n'avait pas le niveau, qu'elle finirait violée dans une ruelle du Bronx. Pendant quelques jours, elle s'est laissée découragée, puis sa fierté lui est revenue d'un coup et elle est partie, comme ça, du jour au lendemain, pour New-York, sans jamais le revoir.

Ses études étaient fabuleuses, et la faisaient progresser à la vitesse de la lumière. À New-York elle brillait, elle était à nouveau une étoile, puissante, intense et belle. Et c'est ce moment que Samuel choisit pour arriver dans sa vie. Samuel était professeur d'histoire du théâtre dans la même école qu'elle. Il l'avait vue pour la première fois lors de son examen d'entrée, pour lequel il faisait partie du jury, et était tombé instantanément sous son charme. Il la courtisa pendant plusieurs mois avant qu'elle lui laisse sa chance, le tout dans la discrétion, car ils vivaient une relation désapprouvée. Elle aimait la façon dont il la traitait, dont il la regardait. C'était si différent du mépris et de la condescendance avec laquelle Uilleam la traitait ! Ils commençèrent à sortir ensemble juste avant le Noël de sa première année à New-York.

C'était parfait, c'était idyllique. Et tout vola en éclats. Encore une fois. Cette fois les éclats furent ceux de la bouteille qu'un client de bar où elle buvait un verre seule après son premier examen de dernière année, en février. Elle ne lui avait rien fait, si ce n'était refuser ses avances. Il l'avait suivie quand elle était partie, pour lui faire payer cet affront, et elle ne se rappelle que de la douleur, quand le verre a déchiré la partie droite de son visage en de multiples endroits, le goût du sang dans sa bouche et le sentiment de mourir dans cette ruelle.

Elle a repris conscience à l'hôpital, et en perdant son visage, elle a perdu tout repère. Alors elle est partie, parce que la moindre chose qui lui rappelait sa vie avant l'agression était insupportable. Samuel, qui n'avait pas été prévenu, ne vit jamais la raison de sa disparition soudaine. Anthéa n'eut pas à chercher longtemps l'endroit où elle atterrirait cette fois : une de ses cousines, qui vivait à New-York et était la personne à contacter en cas d'urgence, l'encouragea à partir avec elle à La Havane, chez leur oncle Bruce et son fils Nathaniel, qui les accueillerait chaleureusement. Finalement, quelques semaines plus tard, la cousine prendrait la tangeante, et Anthéa se repliait sur elle-même pour panser ses blessures.

Du moins, elle le fit jusqu'à ce qu'elle découvre qu'elle était enceinte. C'était Samuel bien sûr, qui d'autre ? Et rien que parce que c'était lui, Anthéa aima instantanément son enfant à naître. Il lui manquait, comme un fragment de nous-même nous manque quand on a l'impression d'être brisé en mille morceaux. Elle dut donc se reprendre, pour l'enfant, et la grossesse fut difficile, parce qu'elle était dévorée par ses angoisses, parce qu'elle voyait son agresseur dans chaque homme inconnu qui l'approchait, parce qu'il y avait toujours quelque chose pour lui faire peur ou mal, et aussi, surtout, parce que son corps petit et frêle n'était pas fait pour la grossesse.

Heureusement, elle finit par mettre au monde, là aussi dans la douleur hélas, une adorable petite fille qu'elle prénomma Isobel. Il leur fallut à toutes les deux quelques jours à l'hôpital, car la petite était un peu prématurée et la mère épuisée, puis elles purent respectivement reprendre et débuter leur vie. Comme Anthéa se centrait désormais sur sa fille, elle se stabilisait psychologiquement, et pouvait désormais vivre seule. Son oncle lui offrit donc une adorable maison dans un quartier à mi-chemin entre le centre et la périphérie de La Havane, maison qui faisait partie des propriétés de la famille. Ils restaient très proches, mais c'était le cas de tous les McLeod de la ville, et ils étaient plutôt nombreux, presqu'autant que sur l'île de Skye.

La vie lui sourit à nouveau quand elle rencontra Maé, au café littéraire où elle avait son habitude. Il l'observait, au début, mais au bout de quelques semaines, puisqu'il lisait le même livre qu'elle, il l'approcha. Ils burent un café, passèrent un moment très agréable, et échangèrent leurs numéros. Ce fut Anthéa qui le rappela, et ainsi commença leur histoire. Aujourd'hui, ça fait deux ans qu'ils sont ensemble, Isobel a presque trois ans, et Anthéa parvient à ne plus penser à Samuel dès qu'elle ouvre les yeux. En d'autres termes, tout commence à aller mieux.

Code:

<zz>Dasha Sidorchuk</zz> - Anthéa Sorensen